Par Godfrey Dornelly
A de nombreuses occasions, des élèves de Tai Chi, certains mes propres élèves, d’autres non, m’ont demandé mon avis sur les conditions requises à la pratique d’une bonne forme des mains. J’ai médité sur la question pendant un bon moment et à dire vrai, à mon humble avis, il n’y a pas une et simple réponse à cette question.
C’est sur les élèves que repose la principale responsabilité. Ils ont la responsabilité de la confiance totale dans les instructions données par leur professeur; ceci est particulièrement vrai lorsque l’élève commence à développer une compréhension plus profonde de son art. C’est parfois à ce moment que les élèves peuvent commencer à mettre en question l’enseignement donné. Alors que le développement dans leur art commence à mûrir, que leur capacité à exécuter une forme acceptable et satisfaisante apparaît, plus les éloges parfois des partenaires et amis, on commence à voir poindre l’horrible égo, en conséquence de quoi certains succombent et commencent à croire qu’ils savent mieux que le professeur. Ce comportement aide seulement à gâcher leur progrès, un fait auquel ils sont souvent aveugles. Si pour une raison ou une autre, l’élève n’est pas capable de donner une totale confiance dans l’enseignement de son professeur, il doit alors avoir le courage de ses convictions et trouver un autre professeur en qui il pourra donner sa confiance.
Avec l’arrivée des séminaires et ateliers multistyles où les élèves sont exposés à une pléthore d’idées différentes, j’ai souvent été témoin de changements dans leur forme afin d’adapter une nouvelle information reçue dans ces séminaires et ateliers. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de railler ces événements, comment me le permettrais-je, après tout, j’ai moi-même participé comme enseignant à plusieurs de ces rencontres. Apprendre la self-défense et les techniques de tuishou à l’extérieur de son propre système, je pense que c’est bien, mais jamais pour la forme (des mains). Je dis ceci, car il y a très souvent une grande différence dans la manière dont les formes sont exécutées d’un style à l’autre. Je vois la forme comme le langage intrinsèque et l’âme d’un système, c’est mon opinion.
“En silence, mémoriser, étudier et imiter…s’abandonner pour suivre l’adversaire” est une citation du canon du Tai Chi Chuan. Les élèves de Tai Chi ont besoin de réfléchir minutieusement à cette citation. Cela est spécialement vrai dans les premières étapes d’apprentissage. On a besoin de mémoriser et d’étudier les mouvements et les techniques de la forme jusqu’à ce qu’ils soient exécutés sans effort. On a besoin d’étudier et d’imiter la forme du professeur jusqu’au moment où notre compréhension de la forme est telle qu’elle peut se personnaliser. En plus du professeur, les étudiants ont besoin de faire particulièrement attention aux pratiquants avancés faisant leur forme, car plus on peut tirer d’informations plus notre compréhension tout autour s’enrichit.
Probablement, un des composants les plus importants pour la pratique d’une belle forme est sans doute un bon professeur. Un bon professeur pourra signaler les erreurs et communiquer les principes corrects qui n’apparaissent pas tout de suite à l’élève. Ceci étant dit, l’enseignant a la responsabilité de ne pas se laisser aller à rien se refuser. Par exemple, en donnant un cours, pendant la forme, un critère constant doit être maintenu sans introduction de variations personnelles qui ne peut que servir la confusion.
Afin d’aider à juger les formes de divers styles aux compétitions de Tai Chi de son British Open, ainsi qu’au Dutch Open et au Championnat Européen, mon professeur, Dan Docherty, a inscrit dix critères à travers lesquels on peut évaluer, de manière juste et impartiale, les variétés de formes les plus courantes. Je les intitule les Dix Essentiels pour une pratique correcte de la forme. Les voici présentées, accompagnées de mon interprétation personnelle.
Interprétation :
1
Justesse de la Posture:
Conscience de l’alignement de la colonne vertébrale
2
Justesse de la Position :
Conscience de la posture – Position des pieds – Plein & Vide des jambes
3
Distinguer Yin et Yang :
Conscience des aspects complémentaires des opposés. Ex: en position avant, jambe avant fléchie, jambe arrière tendue et le contraire en position arrière
4
Douceur et Détente :
S’abstenir d’utiliser la force musculaire délibérée
5
Coordination des Mouvements :
Tous les mouvements sont inextricablement liés
6
Équilibre dans les pas et les rotations :
Les mouvements ne doivent pas être tendus. Les positions pas trop longues ou trop larges
7
Passage fluide d’une technique à l’autre :
On doit ne pas pouvoir observer la fin d’une technique vers une autre
8
Intention et Concentration :
Cela est manifeste dans l’attitude, et où va véritablement la technique
9
Allure esthétique :
Les mouvements doivent être plaisants aux regard
10
Esprit Martial :
Cela est manifeste dans les yeux, concentration totale
Ces dix points sont très reliés entre eux. Si la posture n’est pas correcte, l’aspect esthétique, l’équilibre dans les mouvements, la détente, yin & yang, en seront affectés. Si la position est défectueuse, cela affecte la posture, les transitions fluides etc… Si l’on ne respecte pas la juste mesure de yin & yang, tout autre aspect en sera affecté. Si l’intention et la concentration ne sont pas manifestes, l’esprit martial sera alors difficile à montrer.
L’élève doit maintenir le plus haut niveau de discipline personnelle. La force mentale est un pré-requis absolu, car sans cela, il ou elle trébuchera inévitablement au premier obstacle difficile. Posez des questions. Oui, s’il vous plaît. Je ne comprends absolument pas pourquoi les élèves hésitent si souvent à poser des questions à leurs professeurs lorsque se pose un problème particulier dans leur entraînement. Souvent ils se montrent plus enclins à se renseigner auprès de leurs partenaires plutôt que de pointer leurs questions au professeur. L’aveugle guidant l’aveugle se présente à l’esprit. On a besoin de poser des questions à l’enseignant car c’est le moyen le plus sûr d’espérer recevoir les réponses les plus précises. Cela aide à préserver l’élève contre d’éventuelles années de mauvaise pratique à cause d’informations incorrectes. Cela aide l’enseignant à rester pointu dans ses instructions et à éviter la complaisance et la perte du bon sens théorique.
Sans aucun doute, la meilleure méthode pour améliorer sa forme est la réelle pratique physique de la forme. Les élèves ont aussi besoin de lire autant que possible sur l’art du Tai Chi Chuan, sa théorie et sa pratique. L’élève doit cependant avoir du discernement car il existe un vaste ensemble d’ouvrages écrits sur le Tai Chi Chuan qui varient considérablement en qualité. L’inconvénient ici pour l’élève est que si son niveau de pratique du Tai Chi n’est pas au dessus de la moyenne dans ses capacités et sa compréhension, il manquera de discernement.
La capacité et la discipline à pratiquer seul sont un autre composant, et ô combien inestimable, de l’arsenal de l’élève. Sans aucun doute est-il très important de suivre l’enseignant et les autres, cependant j’ai remarqué que certains élèves suivent simplement comme des moutons et absorbent très peu voire pas d’information du tout. Pratiquer seul permet, d’un autre côté, le temps nécessaire à plus d’introspection. Les nécessités d’Enracinement, de Posture, de Concentration, d’Intention, de Coordination, de Détente, etc… peuvent être travaillées sans la pression de l’observation ou de la critique du professeur et des autres. Je trouve personnellement que le temps passé à m’entraîner seul m’a indubitablement permis de faire de grandes découvertes dans ma compréhension de la forme et de sa fonction. Cela a immanquablement provoqué un effet bénéfique sur d’autres aspects de ma pratique du Tai Chi Chuan.
Le handicap majeur de certains élèves pour progresser dans la pratique de leur forme, guidé par le professeur, est que bien souvent les élèves: ne regardent pas; lorsqu’ils regardent, ne voient pas; et lorsqu’ils voient, n’agissent pas en fonction de ce qu’ils voient.
Etudiant un jour, étudiant toujours. Même quand nous progressons jusqu’à devenir enseignant, l’apprentissage ne cesse pas. Le succès en Tai Chi Chuan est la récompense d’avoir investi dans un dûr travail. C’est ce que m’a dit mon professeur il y a plusieurs années.
La route est longue. Bon voyage.
Article à retrouver dans sa version originale sur le site de Godfrey Dornelly
Traduit de l’anglais en français par Dominique Robin
Photo de Ronnie Robinson
Février 2012