Fragrant Harbour, le port aux parfums

L’histoire de Cheng Wing-Kwong par Dan Docherty
Article paru dans le magazine britannique Tai Chi Chuan & Oriental Arts n° 36 été 2011

Je ne l’ai jamais rencontré; Cheng Wing-kwong était mort depuis longtemps quand je suis arrivé au Port aux Parfums. J’en ai connu beaucoup qui avaient été ses élèves (et donc mes oncles) en Malaisie, à Singapour et à Hong Kong. Tout le monde parlait de lui en bien, pur signe qu’il n’était pas un génie.

Avant de regarder les témoignages anecdotiques et de ouï-dire, examinons ses écrits. Son seul livre, Tai Chi Chuan Hui Pian (Compilations sur le TCC) sortit une première fois en 1949 et la version finale comprend cinq avant-propos, tous écrits par des copains respectables. Certains des élèves de Cheng, tel que Liu Kwong-sum et l’enthousiaste, pourtant dénué de talent, Luk Siu-sun écrirent également des livres sur le TCC.

Il est né à Niao Shi (Rocher de l’Oiseau), dans le comté de Zhongshan, province du Guangdong, du temps de la dynastie Qing, pendant le règne de De Zong (1875-1908). Bien qu’il fut bon élève, à l’âge de treize ans, il laissa tomber son cartable dans le port et fut obligé de quitter les bosquets du collège pour le monde du commerce du Port aux Parfums. Il avait comme nom de plume Cheng Chek-wan.

Sa mauvaise santé périodique était attribuée à un manque d’action physique externe conduisant à des problèmes internes. Il s’inscrivit donc à Jing Wu (association chinoise de santé, fitness et arts martiaux, fondée à Shangai aux environs de 1910, comprenant des sections locales dans les communautés chinoises du monde entier), se mit à la pratique du Tai Chi Chuan et fut guéri en quelques mois.

Ayant entendu parler de la fuite de Wu Jian-chuan de Shangai vers le Port aux Parfums en 1937, Cheng vint lui présenter ses respects et suivre le Bai Shi (cérémonie d’introduction comme disciple), à la première occasion. Durant ses cinq années avec Wu, Cheng apprit la forme des mains, celles du sabre et de l’épée, les techniques et exercices du Tuishou, quelques applications et vingt sur vingt quatre exercices du Nei Kung. La transmission n’était pas complète, cependant il devint le disciple principal de Wu au Port aux Parfums.

Après la mort de Wu en 1942, Cheng fit le tour de différents professeurs pour aiguiser ses techniques, certains de manière indirecte. Tel fut le cas avec Qi Ke-san, qu’il avait fait venir du nord de la Chine afin qu’il enseignât à ses fils (lesquels se plaignirent de la brutalité de Qi et furent rapidement dispensés) ainsi qu’à son neveu, l’adolescent difficile, Cheng Tin-hung. Il était prétendu qu’il passa un peu de temps à pratiquer le Baguazhang avec Sun Lu-tang (1860-1933), mais cela se serait passé avant sa rencontre avec Wu. Etant un type convaincant, Cheng allait assurer plus tard à ses élèves que le TCC possédait la technique “Guangong Caresse sa Barbe”. Cela était certainement le cas après qu’il en eut fini.

Quelque part en cours de chemin, peut-être parce qu’il avait une femme et deux concubines à satisfaire, il développa un intérêt pour l’Alchimie Interne. Son maître principal, comme dans de telles pratiques ésotériques, était (sans surprise) un de ces itinérants taoïstes sans nom qu’on ne cesse de trouver dans les histoires comme celle-ci. Il apprit le Classique de la Transformation du Muscle (Yijinjing) ainsi que les “Huit Pièces de Brocard de la Famille des Immortels”(Xianjia Baduajin) du dit itinérant taoïste sans nom. La dernière série d’exercices est très loin de la saine version enseignée par les officiels du Qigong de Santé Chinois. Son livre donne des instructions détaillées sur les exercices dans ces deux séries de Qigong, bien qu’aucune illustration ne les accompagne. Son neveu, l’ado difficile, qui n’était pas encombré de femme ou de concubine, mais plein de vigueur de la jeunesse (des années après, il me dit que lorsqu’il alla au Japon dans le début des années soixante, il expérimenta les Nuages et la Pluie avec autant de nippones qu’il put mettre la main dessus, une revanche sur l’occupation japonaise en Chine) n’était pas un adepte enthousiaste de l’Alchimie Taoïste et il enseigna ce truc à trois personnes seulement. J’étais le numéro trois.

En 1953, Cheng fonda la Wing Kwong Health Academy (Académie de Santé Wing Kwong) afin de transmettre son savoir et de bénéficier de la publicité générée par son livre. Avec la Chine continentale consacrée à l’établissement de la marque particulière du communisme révolutionnaire de Mao, c’était l’un des quelques livres trouvables au Port aux Parfums. Dès cette période, ses activités commerciales l’amenèrent à voyager dans le sud-est asiatique. Petit à petit il construisit un réseau de contacts et certains d’entre eux devinrent ses élèves de Tai Chi Chuan, particulièrment en Malaisie et à Singapour.

Il était capable de se défendre, et une fois, il donna une sacrée gifle à un turbulent batelier avec la technique issue du Nei Kung “le Tigre Allongé Etire sa Taille”. Mais il n’était pas un combattant et il dut demander à son neveu, l’ado difficile, de venir arranger un défi venant de William Cheung du Wing Chun et quelques copains à la con. L’ado difficile de neveu faucha William avec “Balayer la Jambe Lotus”. Bill* partit avec ses copains à la con, n’ayant rien appris, à la poursuite de son sombre karma.

Les photos de Cheng faisant sa forme des mains montre dans son livre une certaine aisance, un état calme, et on disait qu’il avait un haut niveau de compétence en Tuishou. Son développement à travers le Nei Kung était considérable également, et j’ai vu une photo de lui recevoir un coup porté au corps par le grand Joe Louis lors de sa visite au Port aux Parfums. Et le Bombardier Brun** savait frapper.

Son ado difficile de neveu, Cheng Tin-hung, à un jeune âge, avait appris la Boxe du Sud des Trois Hameaux (San Xiang) de son grand-père, qui disait qu’il ne gagnerait jamais d’argent en l’enseignant, et qui lui dit d’aller plutôt au Port aux Parfums apprendre le Tai Chi Chuan auprès de son oncle, d’enseigner auprès de gens riches et importants et d’avoir du succès dans le monde. Ce qu’il fit. Sur son chemin, il rencontra Wu Jian-chuan durant ses dernières années.

Cheng Wing-kwong et son neveu, l’ado difficile, étaient à la base très proches, mais ils prirent des chemins différents à partir de 1947 quand Qi Ke-san devint oncle Dutch et Sifu de l’ado difficile de neveu. La femme de Cheng prit très mal la scission et lorsque son ado difficile de neveu et ses étudiants rencontrèrent la gloire et le succès à une compétition internationale de full-contact à Taiwan, elle envoya une couronne***.

J’ai rencontré une entière gentillesse de la part des élèves de Cheng Wing-kwong au cours de mes visites à Singapour et en Malaisie. Sifu Chow de Singapour nous remit le plus fin des ginseng de sa pharmacie avant que nous allions combattre sur le Leitai**** pendant que Sifu Long Wei-tak de Kuala Lumpur nous achetait bière et curry et nous dispensait sa bonne et tolérante sagesse après les combats. Oncle Long avait été interprète pour les Japs pendant la guerre. Ce n’était pas quelque chose dont il était fier.

Comme dans toutes les histoires chinoises d’arts martiaux , il y a un traitre, un oncle hypocrite, ici du nom de Loong Fong d’Ipoh. Quand je jouais le rôle de second de Tong Chi-kin, frère de Tai Chi, déjà bien tabassé dans son quart de final contre l’imbattu d’Ipoh, champion de full-contact et styliste de Boxe Thai, l’hypocrite oncle Loong Fong était là en supporter. En supporter de l’imbattu d’Ipoh, champion de full-contact. Je suppose qu’il pensait miser sur le vainqueur quand Tong a été jeté à terre trois fois dans le premier round. Seulement Tong était le combattant le plus courageux que j’ai jamais rencontré, et il n’arrêtait pas de revenir. Il brisa le sortant, l’imbattu d’Ipoh, champion de full-contact. L’hypocrite oncle Loong Fong changea de bord pour être pris en photo avec nous. Il ne fut pas le bienvenu. Plus tard, il souffrit l’ignominie d’aller se faire voir à un voyage d’enseignement à Sheffield. Pauvre Sheffield.

Un bon nombre de professeurs aînés anglais tels que David Barrow, Shelagh Grandpierre et Gary Wragg s’entraînèrent dans la tradition de Cheng Wing-kwong à un moment ou un autre et j’espère que, s’ils lisent ces lignent, cela leur rappelera quelques souvenirs. Mais je pense avoir été le seul à chasser le tigre avec des fusils et des chiens dans la jungle malaysienne avec ses oncles. C’était en 1981. J’ai tué un genre de faisant. Il était très bon.

Le défunt Richard Hughes, pilier de bar d’un côté et correspondant étranger de l’autre, était un de ces nombreux démons blancs qui utilisaient la facile traduction en anglais de “Port aux Parfums (Fragrant Harbour) pour Hong Kong. La traduction correcte est Port aux Encens (Incense Harbour). L’encens, à la fois parfumée et cancérigène quand il brûle, était et est un produit important d’exportation depuis Hong Kong. Avec tant de désinformation à la ronde, c’est un miracle de savoir quelque chose.

Cela fait plus de 30 ans que j’ai mangé le ginseng avant d’aller sur le Leitai à Kuala Lumpur. Cheng Wing-kwong, son ado difficile de neveu et mes oncles sont tous morts. Ce qu’il reste, c’est moi et des frères mécontents tel que Or Ancien (Old Gold). On a fait ce qu’on a pu. Peut-être quelque chroniqueur, peut-être quelque frère effronté débitera des histoires sur nous, un jour.

Traduit de l’anglais en français par Dominique Robin

Notes de traduction:

* William Cheung

** Joseph Louis Barrow (1914-1981), plus connu sous le nom de Joe Louis, a été champion du monde de boxe, catégorie poids lourd, durant douze années, de 1937 à 1949. Il est considéré comme l’un des plus grands poids lourd de tout les temps. Son surnom était Brown Bomber, le Bombardier brun.

*** Couronne de fleurs mortuaire

**** Le Leitai est une plate-forme de combat surélevée, sans garde-fou. Dans sa forme actuelle, il est d’abord apparu en Chine durant la Dynastie Song, mais des anciennes variations peuvent être tracées au moins à la Dynastie Qing. Les combats étaient présidés par un arbitre sur la plate-forme et des juges sur les côtés. Les perdants étaient expulsés de l’arène. Le vainqueur restait à moins d’être renversé par un adversaire plus fort. Quand il n’y avait plus de challenger, le restant était déclaré champion.