Par Dominique Robin
Dans ma pratique et mon enseignement du Tai Chi Chuan, j’ai souvent remarqué que beaucoup d’élèves ferment les yeux ou ne regardent pas leur professeur alors que celui-ci ou celle-ci exécute avec eux, devant eux, les mouvements de la forme du Tai Chi.
Cela m’intrigue et m’amène à cette réflexion que je souhaite partager.
Ma pratique personnelle peut avoir plusieurs objectifs allant de l’entraînement pur pour me perfectionner au plaisir d’exprimer mon Tai Chi dans un paysage magnifique pour faire Un avec la nature par exemple.
Aussi je considère les cours et les stages comme des moments de pratique ayant pour but l’apprentissage.
Il y a le temps de la répétition, de la réflexion et des questions.
En cours et chez moi, je répète les mouvements nouvellement appris ou corrigés en vue de les intégrer puis j’essaie de faire des liens pour augmenter ma compréhension, je lis, je m’interroge et questionne mes professeurs. Vient aussi le temps de la recherche des sensations.
Pour autant que je sache, la notion de ” ressenti ” liée à celle d’ ” interne ” n’a rien de magique.
Ce n’est pas parce que je ferme les yeux que quelque chose en moi va soudainement se produire.
Le ” ressenti ” et l’ ” interne ” sont des phénomènes concrets de connexion, certes subtils, qui se manifestent uniquement lorsqu’on porte son attention sur tel point précis ou tel mouvement de son corps.
Toute son attention, donc son entière présence, doit être alors focalisée (focus) sur un ou plusieurs éléments précis, de manière répétée et systématique.
Mais il existe un temps primordial, un moment essentiel, dans tout apprentissage, c’est l’observation.
Faut-il rappeler que la mémorisation complète des mouvements, notamment ceux de la forme, est une étape incontournable en Tai Chi, un pré-requis indispensable à la quête du ressenti et du travail interne ? Ce chemin demande une attention visuelle et auditive continue, de la part de l’élève débutant comme du disciple, car les détails se révèlent au fur et à mesure de l’apprentissage et non tout d’un bloc en quelques séances ” ça y est, j’ai vu, je sais ” !
Comme dans beaucoup de disciplines, de nouvelles portes s’ouvrent au fur et à mesure de notre progression et nous tiennent ainsi l’esprit curieux et alerte pour longtemps.
Pratiquer le Tai Chi les yeux fermés est très intéressant lorsque pris comme un exercice afin de stimuler les capteurs kinesthésiques pour renforcer le sens de l’équilibre et des directions, lors de la recherche d’une forme en miroir, ou encore à but méditatif, par exemple) mais non comme un objectif en soi.
Car bien au contraire, la notion d’intention (intent = Yi), primordiale en Tai Chi comme dans tous les arts martiaux, requiert un regard toujours en éveil et en action.
Le regard doit permettre une vision à la fois fovéale (focalisée sur un point précis) et périphérique (qui englobe avec conscience tout l’espace environnant).
D’autre part, le regard (associé à l’oreille interne) est un point d’appui dans l’espace important pour l’équilibre et qu’il serait bien dommage de se priver quand on jouit de la faculté de la vue.
La pratique dans les cours et les stages, sauf sur proposition du professeur à titre expérimental, a donc grand intérêt à se faire les yeux grand ouverts, afin d’aiguiser au maximum son sens de l’observation essentiel à l’étude sans fin des détails, en vue d’une progression et d’une satisfaction certaines.