San Bao

Trois Trésors

Par Dominique Robin

” Dans le ciel il y a trois Trésors : le Soleil, la Lune et les Etoiles.
Chez l’Homme, il y a aussi Trois Trésors : le Jing, le Qi et le Shen ”
Dicton taoïste

D’après la tradition taoïste, la durée de vie humaine est de l’ordre d’une centaine d’années, mais rares sont ceux qui arrivent à cet âge avancé, car vivant en contradiction avec la Nature.
Afin de rétablir la vie dans sa durée naturelle, les taoïstes ont élaboré, en deux méthodes, ce qu’on appelle l’art de longévité, qui a ensuite été repris et développé par la Médecine Traditionnelle Chinoise.
La première méthode consiste en l’utilisation de médicaments fabriqués à partir de minéraux, qui portent le nom générique de Wai Dan, le cinabre externe.
La deuxième méthode cherche à élaborer une substance appelée Nei Dan, le cinabre interne, par un travail interne (Nei Gong, Qi Gong ou méditation). Afin de fabriquer le cinabre interne, l’alchimie taoïste met en jeu les trois trésors élémentaires dont est dotée l’humanité : Jing, Qi et Shen, considérant toutes les substances qui existent dans le corps comme des manifestations de ces trois trésors.

La physiologie chinoise est un univers étrange et fascinant pour tout occidental curieux mais dont la compréhension n’est pas évidente et surtout qui demande d’ouvrir grand son esprit à de nouveaux concepts.

QI

Commençons avec la notion de Qi, que l’on retrouve dans le mot Qi Gong mais pas dans le mot Tai Chi Chuan (Taiji Quan), et qui est fréquemment utilisé dans la bouche ou sous la plume de certains enseignants de ces disciplines, avec une impression d’évidence, cela allant de soi, qu’on n’explique plus et qui explique tout, c’est le Qi !
Ah…le Qi…mais qu’est ce que le Qi ?

Partons de l’idéogramme chinois Qi , composé de Qi représentant des vapeurs qui montent de la terre et vont former dans les hauteurs les couches de nuages,

et de Mi représentant le riz ou la graine de céréale.

L’ensemble donne des grains de riz ou de céréale qui éclatent à la cuisson et qui produisent une vapeur qui s’élève.

Ainsi Qi peut être traduit par le souffle (vapeur, haleine), l’air, l’atmosphère, l’animation de la vie (composée des rythmes yin et yang), l’énergie vitale qui produit, anime et maintient toute forme. Qi, c’est l’air tout autour de nous et l’oxygène dans l’air. Qi, c’est l’oxygène transporté par l’hémoglobine depuis nos poumons vers tous les tissus de notre corps. Et Qi, c’est aussi le dioxyde de carbone et le méthane qui s’échappent de nos différents orifices.

D’un point de vue philosophique, le Qi nommé Qi originel, fut responsable de la création de l’Univers, et une fois créé, l’Univers fut lié au Qi. Ainsi tout ce qui existe sur terre et au ciel est créé à partir du Qi et il s’exprime, à travers le yin et le yang, dans toute sa création.
Il est difficile de le percevoir car trop peu substantiel mais il se déploie dans la vaste atmosphère, bouge et change constamment. C’est en comprenant les changements des phénomènes observables que l’on peut devenir conscients du Qi. La création est le mouvement du Qi. Il emplit l’espace entre toutes formes, tous objets. Il emplit le vide entre le ciel et la terre. Il emplit les espaces qui séparent les choses et les connectent. Il existe parmi les gens, et entre les gens et la nature. Qi est le moyen d’existence, connectant tout dans l’Univers, le rendant entier, unifié.
D’après la philosophie et la médecine chinoises, les êtres humains font partie de ce tout.

A l’époque des Han (206 av JC – 220 ap JC), le Canon de l’Empereur Jaune (Huang Di Nei Jing) a rassemblé toutes les théories du Qi qui existaient depuis la haute antiquité afin d’en présenter une théorie homogène d’un point de vue médical, dont voici les points principaux :

– Qi est un nom générique pour désigner tous les éléments qui constituent le corps humain. Dans le Ling Shu* (chapitre 30) un maître dit : ” Chez l’Homme, il y a du Subtil (Jing), du Souffle (Qi), des liquides organiques (Jin Ye), du sang (Xue), des vaisseaux sanguins et des méridiens (Mai) : tout cela constitue le Qi “.
– Le Qi est aussi le produit de l’interaction de ciel et de la terre dont les Qi respectifs se correspondent et se transforment mutuellement. Dans le Su Wen** (chapitre 25) il est noté que : ” l’Homme est le produit du ciel et de la terre, façonné par les cinq saisons “. Au chapitre 6, il est précisé : ” les neuf orifices, les cinq organes, les douze articulations (Jie) et méridiens répondent au Qi du ciel “.
– Le Qi originel (Yuan Qi) est transmis de génération à génération par l’intermédiaire du Subtil (Jing) et du sang (Xue) du père et de la mère, qui constituent ce que les chinois nomment le Ciel Antérieur. Il est dit que le rein est la racine du Qi (originel).
– Le Qi du Ciel Postérieur provient de l’alimentation et de la respiration. La rate assimile et transporte une partie de la fraction pure (directement assimilable) des aliments et des boissons. Il est dit que la rate est la racine du Qi du Ciel Postérieur. Le poumon gouverne la respiration, on dit qu’il gouverne le Qi.
– Le Qi circule partout et sans cesse. Dans le corps, il suit des trajets préférentiels appelés méridiens selon des rythmes bien définis. Pour agir, le Qi utilise différents mouvements tels que ” flotter ou couler “, ” monter ou descendre ” en rapport avec le mouvement d’alternance de l’Univers et en fonction des saisons.
– Chez l’Homme existent aussi d’autres formes de Qi : le Qi nourricier (Ying Qi) qui va nourrir le corps, le Qi défensif (Wei Qi) qui réchauffe le corps et lutte contre les Qi pervers internes ou externes (vent, humidité, chaleur , sécheresse, froid, feu) et le Qi des organes et des entrailles.

Pour préserver la santé et lutter contre les maladies, une seule et grande règle pour le Qi : il doit circuler, passer partout

JING

Observons l’idéogramme Jing composé de Sheng  la plante, jeune pousse, qui sort du sol et Dan le cinabre, la substance précieuse née de longue méditations taoïstes, qui ensemble deviennent Qing la couleur végétale, verdoyante, manifestant la bonne vitalité interne d’un être diffusée jusqu’aux zones les plus externes.
Avec le radical Mi, le grain de riz, l’ensemble Jing indique quelque chose d’extrêmement précieux, une très petite quantité énergétique liée à la vie verdoyante qui pousse.

Ainsi Jing est traduit par : ” épuré, essence, extraction, parfait, excellent, méticuleux, subtil, élégant, acéré, doué, compétent, énergie, esprit, sperme, graine, semence, extrêmement, lutin, esprits, démon, la substance fondamentale qui maintient le fonctionnement du corps, l’essence de la vie “.

Il est utilisé en référence à la partie la plus épurée de tout le Qi de l’Univers, de toutes les entités utiles à l’intérieur du corps humain (” le Subtil est la racine du corps humain ” Su Wen chapitre 4), et de l’essence emmagasinée dans les reins.

Conservée dans les reins, l’Essence ou le Subtil du Ciel Antérieur peut alors se transformer en Qi originel (au moment de la conception) qui est le facteur principal de la détermination du type de terrain et de l’état de santé de l’Homme.
L’Essence ou le Subtil du Ciel Postérieur peut alors se transformer en Qi des organes et des entrailles devenant le facteur principal de détermination de l’état de fonctionnement des organes et de l’état immunitaire de l’organisme.

Ainsi il faut savoir que dans la Médecine Traditionnelle Chinoise le terme Jing Qi est souvent utilisé, reflétant l’idée que Jing est une manifestation de Qi et qu’il ne peut fonctionner qu’en relation avec lui.

SHEN

Composé à droite, du caractère Shen deux mains qui étendent une corde, donnant l’idée d’expansion, et à gauche, de Shi influences venues du ciel et des corps célestes (le soleil, la lune et les étoiles dont les mutations révèlent aux hommes les choses transcendantales), l’idéogramme Shen est souvent traduit par esprit, spirituel.

Shen est le moins substantiel des trois trésors, parce que c’est l’esprit, l’étincelle du ciel qui fournit la vitalité de la vie au vivant. Aussi d’un point de vue philosophique et spirituel, la présence de Shen dans le corps humain exprime l’étincelle éternelle du mystère divin et de l’intelligence divine qui unit les humains au ciel et leur offre un guide divin à travers les transformations mystérieuses de la vie.

Shen est aussi l’ensemble de toutes les activités mentales, émotionnelles et intellectuelles et il est dit que l’Esprit Shen est gouverné par le cœur (Xin), le monarque des organes internes. Le mot chinois Xin veut dire à la fois cœur et esprit. Et Xin est considéré comme étant le siège de la conscience.

Ainsi Shen est aussi traduit par : ” Dieu, divinité, surnaturel, magique, mental, expression, regard, élégant, intelligent “.

Du point de vue de la Médecine Traditionnelle Chinoise, Shen englobe également les aspects mentaux et spirituels associés aux organes qui influencent les émotions, l’esprit et la pensée. C’est ce qu’on appelle les Benshen. Ils sont au nombre de 5, comme les organes: Shen, Yi, Zhi, Hun et Po.

Afin de ne pas rentrer dans des détails complexes, voici un schéma qui résume leurs différentes corrélations et influences :

Comme nous l’avons vu avec Jing Qi, il existe également une notion de Shen Qi. Par exemple, un médecin chinois commencera à examiner un patient en observant l’état de son Shen Qi, sa vitalité.
D’ailleurs le Su Wen dit : ” Celui qui possède le Shen est plein de vie. S’il perd le Shen, il mourra “.

Il est important de comprendre que Jing, Qi et Shen sont indissociables et interdépendants.
Par exemple, sans un apport suffisant de Qi, Jing viendra à manquer et Shen sera agité. Si Shen n’est pas détendu, cela affectera en retour la respiration et la capacité à produire et conserver Jing en sera également affectée.
A travers les mouvements du Tai Chi ou du Qi Gong qui impliquent de descendre et de monter, des contractions et des expansions, le Qi est mis en branle. La douceur des mouvements et leur coordination permettent à Shen d’être calme, offrant une concentration de qualité.

Il peut être intéressant d’ajouter que dans la pratique picturale chinoise telle que la peinture et la calligraphie, on retrouve également ce terme Shen Qi, qui représente alors le souffle – esprit intervenant au moment de la création, comme pour guider la main de l’artiste, et qui reste présent entre l’oeuvre et celui qui la regarde.

A travers l’histoire, les médecins et philosophes (surtout taoïstes), et tous ceux qui cherchaient à préserver leur santé, comprenaient et appréciaient ces trois trésors Jing, Qi et Shen. Ils comprenaient que la santé du corps et du mental, et donc la vie elle – même, dépendait de leur manière de chérir ces dons.

Dominique Robin, janvier 2013

Notes :

* et ** Le Huang Di Nei Jing, comportait à l’origine dix-neuf chapitres et se subdivisait en deux parties : le Su Wen et le Traité d’acupuncture. Cette deuxième partie sera ultérieurement rebaptisée Ling Shu

Références et passages empruntés :

Instant Tao, de Dan Docherty, édition Red Cinnabar
Formation FFWushu, avec Florence Choffrut
Souffle et énergie, le Qi Gong, de Dr Angles Michel, Dr Darakchan Siavoch, Pr Zhu Mian Sheng, éditions du Rouergue
Qui peut chevaucher le Dragon ? , de Zhang Yu Huan et Ken Rose, édition Guy Trédaniel, collection Le Temps d’Agir
Souffle – Esprit, textes théoriques chinois sur l’art pictural, de François Cheng de l’Académie Française, édition Points Essais

Illustrations:

Photo de droite de Wayne England, Facebook Universe & Milky Way Lovers
Photo de gauche de Lincoln Harrison, Facebook Universe & Milky Way Lovers
Adepte Taoiste tenant dans ses mains Jing, Shen et Qi, gravure in Instant Tao de Dan Docherty et avec son aimable autorisation